COVID-19

Loyers et frais de location des magasins fermés par décret

Par divers décrets des 14 et 15 mars et par le décret substitutif n³ 2020-293 du 23 mars 2020 modifié ultérieurement ("Décrets")

Le gouvernement français a décidé que tous les magasins devront rester fermés jusqu’au 11 mai 2020 à l’exception de certains magasins dont l’activité est essentielle au pays (épicerie, pharmacie, banque, poste, kiosque, etc.).

Les exploitants de magasins se demandent si le loyer et les frais de location sont dus pour cette période.

Il n’est pas possible de donner une réponse certaine et définitive car la situation actuelle est totalement nouvelle et les réponses varient en fonction des circonstances. Par exemple, la situation des magasins qui ont été obligés de fermer est différente de celle des magasins qui ont fermé parce qu’il n’y avait plus de clients en raison du confinement.

Par la présente, je partage certaines informations et arguments en faveur de la suspension et de l’annulation du loyer locatif pendant la période où les magasins ont dû fermer par décret.

Communiqués des associations professionnelles et mesures gouvernementales

Les 18 et 25 mars 2020, diverses associations de commerce ont demandé au Gouvernement et aux bailleurs l’annulation des loyers et des frais locatifs pendant la période de fermeture des activités commerciales. La demande a été réitérée avec d’autres associations commerciales le 14 avril 2020. Ils demandent également la fixation d’un loyer variable lors de la réouverture des magasins car les ventes seront limitées.

Le 20 mars 2020, des associations de bailleurs institutionnels ont invité leurs adhérents à suspendre le paiement des loyers et frais de location dus par les microentreprises et les PME et à analyser avec bienveillance les demandes de suspension des loyers par les autres entreprises touchées par la COVID-19.

Le 25 mars 2020, le gouvernement a prévu la suspension des sanctions contractuelles pendant la période d’urgence sanitaire et un régime spécifique de suspension du paiement des services publics, des redevances et des frais de location pour certaines microentreprises.

Certains bailleurs institutionnels tels que la Compagnie de Phalsbourg, Ceetrus (Auchan), Ingka (Ikea) et la SNCF ont déclaré renoncer au paiement des loyers pour la période de fermeture par décret des magasins.

Le 17 avril 2020, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a annoncé qu’il avait demandé aux propriétaires de parcs immobiliers de renoncer à trois mois de loyers dus par les entreprises de moins de 10 employés qui ont été obligées de fermer en raison de la pandémie de Covid-19.

Le 22 avril 2020, trois Présidents de Région (Nouvelle-Aquitaine, Hauts-de-France, Bretagne) ont écrit au Ministre de l’Économie pour soutenir les demandes des fédérations du commerce, y compris l’indexation des loyers sur les ventes si celles-ci ne se répartissent pas immédiatement.

Le 25 avril 2020, la deuxième loi de finances rectificative a prévu la déduction fiscale des loyers en faveur des bailleurs qui renonceraient à en obtenir tout ou partie.

Pistes de réflexion

À mon avis, indépendamment de la taille des entreprises, il existe des arguments sérieux pour invoquer la suspension du contrat de bail commercial [1] des magasins qui doivent être fermés par décret et donc aussi la suspension du paiement du loyer locatif.

En application de l’article 1719 du code civil, il incombe au bailleur de mettre à la disposition de l’exploitant un local conforme à la destination prévue et d’en assurer la jouissance pacifique.

Les obligations du bailleur ne peuvent pas être considérées comme strictement matérielles et ponctuelles, comme la simple remise des clés du local. Ils doivent également s’entendre dans un sens économique et continu : le bailleur doit mettre à la disposition de l’exploitant un local dans lequel il peut exercer l’activité économique prévue et recevoir la clientèle pendant toute la durée du contrat de location.

Ces obligations peuvent être facilitées par les parties; l’exploitant peut, par exemple, prendre en charge certains travaux pour aménager les locaux, mais il n’est pas possible de déroger totalement à l’obligation de livrer et de garantir à l’exploitant un local où exercer l’activité prévue.

L’exercice d’une activité commerciale dans les locaux, rappelé dans divers articles de loi et à la clause "destination" des contrats de location, est un élément essentiel du contrat de location commerciale.

Selon certains auteurs, les conséquences économiques de la fermeture des locaux seraient à la charge de l’exploitant puisqu’elles seraient imputables à l’activité dans les locaux, de la responsabilité de l’exploitant, et non à l’immeuble, de la responsabilité du bailleur.

Ce raisonnement est, à mon avis, réducteur : l’exploitant paie pour avoir un local où il puisse exercer l’activité commerciale convenue.

En raison des décrets imposant la fermeture des magasins, le conducteur n’a pas pu profiter de la jouissance pacifique du local puisqu’il ne peut pas exercer son activité.

Ainsi, l’objet essentiel du contrat de location, c’est-à-dire la location d’un local pour y exercer une activité commerciale et y recevoir des clients, disparaît provisoirement.

Le bailleur n’est pas responsable de la situation et on ne lui demande donc pas de dommages et intérêts.

Toutefois, étant donné qu’il n’est pas possible d’exercer l’activité prévue dans le local et pour laquelle le contrat de location a été signé, l’obligation de paiement du loyer et des frais de location est naturellement également réduite. C’est l’application du principe de l’exception de défaillance.

Par ailleurs, dans le contrat de location, l’exploitant s’engage souvent à garder le magasin ouvert et à avoir un nombre suffisant de salariés et de marchandises en dépôt. En raison des décrets imposant la fermeture des magasins, l’exploitant ne peut plus respecter ces engagements.

Étant donné qu’ils sont imprévisibles et irrésistibles, ces décrets sont à mon avis qualifiés d’événements de force majeure pour le bailleur (qui ne fournit pas au locataire un local où l’activité prévue peut être effectuée) et pour le locataire (qui ne peut pas garder les magasins ouverts comme il le fait souvent).

L’exécution du contrat de location-vente est de fait provisoirement impossible et doit donc être suspendue, y compris le paiement du loyer et des frais locatifs pendant toute la période de force majeure.

Seules restent en vigueur les obligations accessoires telles que, par exemple, l’obligation pour l’exploitant et le bailleur d’assurer les locaux et pour l’exploitant d’y laisser la marchandise.

Il existe d’autres arguments juridiques pour défendre la position des exploitants vis-à-vis des bailleurs, différents selon les circonstances. Mais il y a aussi des arguments à éviter. Par exemple, il est très difficile de démontrer qu’un cas de force majeure peut empêcher l’exécution d’une obligation de paiement.


[1] Le contrat de location commerciale obéit à une réglementation spécifique et complexe qui comprend, outre les dispositions légales du code civil sur les contrats de location en général, une réglementation spécifique incluse dans le code de commerce, appelée « statut des baux commerciaux », tutelle de l’exploitant datant de 1953.

 

Lire en ligne

 

Partager cette page Partager sur FacebookPartager sur TwitterPartager sur Linkedin
Fermer

Adhérer

Fermer

Vous êtes un membre?