ITALIE – La reprise va-t-elle se poursuivre ?

La crise a été longue, difficile et réelle. Le retour de la croissance a enfin apporté une amélioration du pouvoir d’achat des familles et des comptes des entreprises privées et de l’État. Ceci devrait permettre de regarder avec un peu moins d’émotivité et sans doute plus de réalisme les perspectives et la santé du marché italien.

Le dernier trimestre 2016 a été marqué par l’inquiétude et l’attente  concernant les  résultats  du référendum constitutionnel transformé en un plébiscite pour ou contre le gouvernement Renzi. Le résultat nettement négatif (attendu, même si ce désaveu peut surprendre), suivi du départ immédiat de Matteo Renzi, a marqué les esprits en interne, et… encore plus profondément à l’extérieur parmi les décideurs économiques. L’Italie allait-elle retomber dans ses excès du passé ou les incertitudes de l’inaction ou du populisme ?

Dans l’ambiance générale compliquée de ce  début 2017, il n’est pas facile d’y répondre avec certitude, mais plusieurs éléments sont intervenus ces  derniers  mois qui devraient tranquilliser l’investisseur en Italie malgré cette nouvelle  instabilité  politique. La situation a évolué de façon plutôt favorable en 2016 et début 2017.

Comme cela a déjà eu lieu à plusieurs reprises en Italie… le pire n’est pas intervenu et le pays est gouverné avec un nouveau Premier ministre, Paolo Gentiloni, proche du précédent et dirigeant une équipe quasi identique. Il pourrait même rester plus longtemps que prévu (fin 2017 ou même jusqu’à l’échéance normale du Parlement en 2018) si les partis traditionnels y trouveront de l’intérêt ce qui semble probable. Moins dynamique en termes de communication que son prédécesseur, le nouveau Premier ministre ne va pas accélérer le rythme des réformes, mais au moins consolider celles importantes et réelles déjà faites (en particulier celles sur le marché du travail dont la constitutionalité vient d’être confirmée). Ses principales missions vont être de définir et proposer une loi électorale consensuelle et capable de conduire à une majorité claire et ensuite de parfaire la restructuration du système bancaire et le sécuriser.

Les dernières statistiques de l’Istat confirment la reprise en 2016 de la consommation des familles (+1,6 %) et de leurs investissements (+3,4 %) grâce à l’augmentation de leur pouvoir d’achat d’environ 2,8 %. Y ont contribué la reprise et le niveau très bas des taux d’intérêt, mais   certainement également les 600 000 postes supplémentaires de travail permis par le « Job’s Act» depuis 2015 (chômage en baisse depuis 2015) et pour la première fois depuis des années une politique fiscale moins agressive et une première diminution de la charge fiscale (de 40,9 % à 40,7 %). Peu perçu, il semble également selon l’Istat que le Sud soit pour la première fois depuis longtemps concerné par l’amélioration (certes plus faiblement que le Nord) et qu’après des années noires d’augmentation, l’indice des populations en situation de pauvreté sévère (i deprivati) soit enfin en baisse.

 

Un pouvoir d’achat qui progresse

De la même façon, selon l’Istat, les comptes publics ont poursuivi leur (lente) amélioration avec un déficit passé de 2,6 % à 2,3 % du Pib qui rend possible une prochaine diminution de la dette. C’est dû aux taux d’intérêt, mais pas uniquement puisqu’il y a depuis des années un surplus de bilan avant le coût de la dette et que celui-ci progresse même en 2016. La position des entreprises privées s’améliore également avec une valeur ajoutée en hausse de 3,5 % en 2016 et des investissements de l’ordre de 2,6 %.

D’autres éléments favorables concernent la reprise de l’export en 2016 (autour de 2,5 %) compensant enfin le fort  effet sur l’Italie des sanctions à la Russie et la baisse des achats de certains  pays  méditerranéens en difficultés. Les entreprises italiennes n’avaient eu depuis 2008 aucun autre choix que d’exporter : ce fut un succès, mais des craintes étaient apparues depuis 2015 et l’export stagnait. Rappelons les secteurs forts du  pays :  la  mécanique et les machines-outils, l’équipement de la maison et de la personne et l’alimentaire auxquels s’ajoutent   maintenant les produits pharmaceutiques pour lesquels l’Italie devient un hub européen. Il s’agit surtout de secteurs traditionnels,  mais en se consacrant  aux  produits de niche et à valeur ajoutée plutôt qu’à faire du volume, l’Italie parvient à un excédent très   important    proche    de 100 milliards d’euros en Europe et hors d’Europe. Simultanément et cela reste peu perçu, le marché des fusions et acquisitions a connu une grande année 2016 en Italie. Avec un taux de croissance en volume de 35,3 %, unique en Europe, alors que l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne sont en baisse sensible, il démontre l’intérêt de l’étranger vers l’Italie : pour son know how mais aussi son marché. Mais cela montre aussi à nouveau l’intérêt de l’Italie vers l’étranger et la France en particulier, citons les achats récents  faits par Campari, Lavazza, Aéroport de Rome, Fincantieri  entre autres. La  dernière  opération est emblématique avec la fusion annoncée  entre  Luxottica et Essilor faites « entre égaux » qui démontre ce que nous annoncions depuis des années concernant la complémentarité naturelle entre nos entreprises et l’intérêt de développer les collaborations  dans  le  cadre  d’un marché toujours plus européen. Le lancement du French Tech Milano Hub a été une excellente nouvelle de l’année 2016. Il souligne bien l’importance des relations avec l’Italie notre second partenaire, et la présence française sur un marché où nous sommes le premier investisseur étranger  depuis  des  années. On est plutôt axé en Italie sur le Medium Tech, mais en tant qu’industriels, on sait que la technologie est essentielle pour demain.

En conclusion, les blessures de la longue récession connue par l’Italie n’ont pas disparu, mais la cicatrisation est en bonne voie. Il reste clair cependant que les incertitudes amènent pour l’instant des prévisions de croissance en baisse plus proches de 0,8 % que de 1 %. Les risques au cours de l’année qui vient sont de deux types politiques et financiers.

 

Risque d’instabilité politique ?

L’Italie suit le mouvement actuel de surprises (Espagne ingouvernable, Brexit, élections américaines…) et l’a même peut-être devancé puisqu’avec l’élection de Silvio Berlusconi il y a des années (self-made man venu du monde immobilier et des médias) elle a une certaine expérience.

Cependant l’Italie est toujours parvenue à gérer des situations perçues ailleurs comme impossibles (souvent avec l’aide de la Banque d’Italie) et le Parti « 5 Stelle » paraît avoir des difficultés sérieuses à Rome, ce qui pourrait le freiner dans le futur. Reste que quatre partis importants, cela ne facilite pas les majorités stables et crée surtout des majorités d’opposition non créatrices (celle sur le référendum par exemple). Le   risque   majeur   concerne aujourd’hui      probablement le Parti « 5 Stelle », créé pour démontrer que l’on peut faire un parti politique puissant à faible coût grâce à  Internet (démonstration réussie… à méditer)… même si on n’a pas d’idéologie claire derrière soi. Le fondateur, Gianroberto Casaleggio, est décédé et Beppe Grillo est bien seul, fantasque et non préparé (dans une vision française)   pour   diriger et orienter un parti devenu rassemblement de nombreux opportunistes.

Reste que le risque de nouvel immobilisme existe réellement : dans ce cadre-là, l’Italie une nouvelle fois aura besoin d’une Europe forte capable de lui imposer des contraintes et des décisions… Espérons que celle-ci comprendra son intérêt et ne décidera pas au contraire de forcer l’Italie à quitter l’UE  au risque de  casser  définitivement l’Europe  elle-même  et  sans doute l’Italie qui présente un équilibre  compliqué  entre Nord et Sud.

 

Un système bancaire fragile

Le système bancaire italien est dispersé et affaibli : il a souffert de la crise et ses problèmes n’ont pas été réglés en temps utiles comme ils le furent en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, au Portugal, en Grèce et en Irlande grâce à des aides massives des États. Ce fut une grande erreur de Silvio Berlusconi et de ses successeurs qui n’ont pas voulu accroître la dette publique, mais aussi des banquiers qui n’ont pas voulu laisser le capital et la direction aux pouvoirs publics (quels qu’ils soient). C’est un vrai problème connu au  moins  depuis sept ans : il ne s’agit pas de l’endettement des particuliers (peu élevé) mais de l’endettement des PME qui  a  été  mal ou non géré, et d’une absence totale d’investissements pour affronter un changement radical du métier  de  banquier  à l’ère digitale. Le dernier gouvernement a commencé à  gérer le problème : il y a encore à faire et il faut espérer que l’Union européenne  laissera l’Italie le gérer. Dans tous les cas, le nombre de banques est appelé à  diminuer  fortement et le capital réel en main de nombreux actionnaires plutôt réduit.

Le problème est gérable… sachant que le risque pour le pays est de deux natures. Faire tomber une ou plusieurs banques coûterait cher à tous en Italie et en Europe et n’améliorera pas la confiance. Plus important une crise de confiance dans l’Italie pourrait sous la pression des sociétés de rating faire monter le coût du spread. Il ferait augmenter le coût de la dette de l’État, et en conséquence celui du refinancement des banques et donc des entreprises. Il s’agit du risque majeur pour l’économie. Pour imaginer le prix, sachez que pour l’Italie, qui a une dette de 2 200 milliards d’euros, un différentiel de 100 BP coûterait ainsi grosso modo  autour  de 22 milliards à l’État et ensuite au moins autant aux banques et aux entreprises. Dur de survivre à un spread de 450 BP tel que celui qu’avait connu Silvio Berlusconi. Pour mémoire rappelons-nous que beaucoup de banques régionales allemandes ne vont pas bien, mais que sans spread… elles survivent facilement.

2017 sera donc une nouvelle année difficile et intéressante compte tenu des inquiétudes issues de l’environnement politique plus instable, et de premières estimations de croissance modestes.

L’Italie reste donc pour nous français un marché complexe, mais nous ne pouvons pas ignorer que les bases sont aujourd’hui meilleures et que ce que nous conseillons depuis quelques années se vérifie : de vraies opportunités d’achat et de bonnes possibilités de collaboration positive efficace dues à de vraies complémentarités (Essilor Luxottica). Nos deux marchés restent importants  pour  chacune  des deux parties : rappelons que selon les statistiques export italiennes – différentes des nôtres – le marché français constitue le premier excédent mondial de l’Italie, ce qui en fait une priorité pour les entrepreneurs italiens qui continuent à y engranger des succès. Il y a un challenge pour nous à faire aussi bien. C’est peut-être maintenant que peuvent se constituer de nouveaux groupes européens supranationaux ou franco-italiens petits ou grands… ce qui fonctionne d’ailleurs déjà et avec succès au sein de quelques groupes de luxe. Cette présentation collaborative reste d’ailleurs à privilégier puisque les achats de groupes français en Italie font encore peur et amènent curieusement encore et régulièrement des réactions vives sur l’« invasion française »… alors qu’à chaque fois le résultat a été très positif pour toutes les parties.

Sans doute encore utile d’apprendre à se  connaître, reconnaître  nos  différences, de fait créatrices, et mieux communiquer pour nous français sur ce que nous sommes. Les CCE  Italie peuvent bien sûr y contribuer.

 

Nicolas DIERS, Vice-président de la CCI France Italie et Vice-président du Comité Italie des CCE

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